Giresse : « King Street ? Ces gens-là se foutent du football »

Giresse : « King Street ? Ces gens-là se foutent du football »

Le fonds d’investissement américain King Street a annoncé jeudi sa décision de se retirer des Girondins de Bordeaux, deux ans et demi après le rachat du club en novembre 2018. Alors qu’une grande incertitude entoure l’avenir du sixième champion de France, Alain Giresse, l’un de ses plus anciens joueurs emblématiques, a du mal à cacher son dégoût et son inquiétude.

Un bref communiqué de presse de quelques lignes a donc officialisé le retrait du fonds d’investissement américain King Street. Avez-vous été surpris? Je savais que la situation financière du club était difficile. Je ne peux donc pas être totalement surpris. On parle d’un trou de 80 millions d’euros, peut-être plus … Le moment, bien sûr, soulève des questions: il y a quelques mois, King Street avait déboursé 40 millions d’euros. Et le fonds d’investissement décide, à cinq jours de la fin, de partir, lorsque la situation sportive du club est mauvaise. Cela montre que ces gens ne se soucient pas du football, des supporters, de la ville, de la région …

«Je suis évidemment triste, en colère aussi. Bordeaux est mon club, je suis très proche de lui et cette situation m’inquiète. « 

Christophe Dugarry a qualifié les gens qui dirigent King Street de « poubelle » chez RMC … Je pense que oui. Je le dis d’une autre manière, mais oui, il a raison. Je suis évidemment triste, en colère aussi. Bordeaux est mon club, je suis très proche de lui et cette situation m’inquiète. Que va-t-il se passer? Pour l’instant, il faut s’attendre à autre chose. Comme vous, je ne connais pas la situation financière réelle du club. Voulons-nous une preuve de ce que recherchent les fonds d’investissement? Nous avons ceci. J’ai participé à certaines rencontres, à la demande de la Mairie de Bordeaux, avec d’autres anciens joueurs. La première fois que j’ai entendu ces gens parler, c’était très clair.

En d’autres termes, il ne s’agissait que d’affaires, de rentabilité, de finance, de valorisation de la formation, etc. Ils ne savent même pas ce qu’est le football, le jeu, les fans. Ils sont venus pour gagner de l’argent et ont décidé d’y aller. Bien sûr, cela a été annoncé hier (25 avril), mais cela a été fait plus tôt. Mais qu’imaginaient-ils, ces gens de King Street? Voulez-vous jouer au football, rester pendant trois, quatre ou cinq ans, puis vous pouvez faire comme ça, quand la saison n’est pas encore terminée et que l’équipe se bat pour la maintenance? Ce ne sont pas des méthodes. C’est très triste que ces gens se comportent comme ça, ne respectant pas le club, ses employés, ses fans.

«Les joueurs vont passer du temps au téléphone avec leurs agents, qui vont leur dire qu’ils vont avoir un club pour la saison prochaine, des trucs comme ça … Il y a donc un risque de démobilisation et c’est pas le temps. « 

Sportivement, cette annonce est tombée, car l’équipe avec 16 joueurs têtes de série devrait disputer un match important dimanche à Lorient. Oui, et cette annonce est très mauvaise. Au lieu de se concentrer sur le jeu, sur l’adversaire, les joueurs risquent de dire juste cela. La situation sportive n’est pas bonne, il y a des tensions dans le staff … Les joueurs sont préoccupés par leur avenir, tout comme les autres employés du club. Ils passeront du temps au téléphone avec leurs agents, qui leur diront qu’ils trouveront un club pour eux la saison prochaine, des trucs comme ça … Il y a donc un risque de démobilisation et ce n’est pas le moment. C’est une preuve supplémentaire que King Street, ce faisant, ne sait rien du football, des questions sportives.

«Le pire serait la faillite et le retour du club en Nacional 3, comme Bastia ou Strasbourg récemment. Je ne veux pas considérer cette hypothèse. « 

Comment expliquez-vous que le club se trouve dans une situation financière aussi tendue? Nous avons amené des joueurs offrant de bons contrats, des entraîneurs très bien payés, qui ont été licenciés avant la fin du contrat. Et c’était cher, même si certaines personnes m’ont dit qu’il en coûterait encore plus pour les entretenir. Des managers de football très rémunérés, des entraîneurs étrangers dans des équipes de jeunes, etc. Le club devait assumer un niveau de vie très élevé. Et il y avait le problème des droits TV avec Mediapro, la crise sanitaire. Plusieurs scénarios sont envisageables: du dépôt de bilan à l’arrivée d’un repreneur en passant par un déclassement en Ligue 2, comme en 1991.

En 1991, je me souviens qu’il y avait une mobilisation au niveau régional. Aujourd’hui, imaginez qu’un acheteur arrive. Il devra déjà rembourser une très grosse dette, ce qui limitera ses futurs investissements. Et, dans le contexte actuel des droits de télévision, dont le montant n’est pas encore connu pour la prochaine saison, il est difficile d’établir une prévision budgétaire. Il y a la crise sanitaire: quand le public pourra-t-il retourner au stade? Aujourd’hui, il faut attendre d’autres éléments pour en savoir plus. Le pire serait la faillite, et que le club reviendrait en National 3, comme Bastia ou Strasbourg récemment. Je ne veux pas considérer cette hypothèse. J’espère qu’une solution sera trouvée pour que le club revienne en Ligue 1 la saison prochaine.

Pierre Hurmic, le maire (EELV) de Bordeaux, serait favorable à l’entrée des supporters dans la capitale. Que pensez-vous de cette hypothèse, pourquoi pas? Je ne vois aucun problème avec cela, le fait que le club se connecte avec eux. Mais nous n’allons pas demander aux fans de reprendre le club. Il est normal pour eux de participer à un plan de rétablissement, mais cela dépendra du futur propriétaire.

On a aussi entendu des supporters suggérer que l’ancien prenne la direction du club … Oui, c’est bien de penser à nous, mais je ne suis pas David Beckham. (Rires.) Plus sérieusement, le club doit être assumé sur la base d’un projet solide, avec des ressources. On parle de grosses sommes, des dizaines de millions d’euros. On ne peut pas demander aux ex-joueurs de contribuer au rachat des Girondins.

Bordeaux a craqué pour un fonds d’investissement américain, un projet de Superleague finalement avorté en quelques jours. Le football contemporain devra-t-il faire face à ce type d’actualité? Les fonds de pension qui achètent des clubs sont susceptibles de se développer. Parfois cela peut bien fonctionner, comme à Toulouse, même si l’exemple est récent. A Bordeaux, ce fut un échec, car ces gens sont là pour gagner de l’argent en un minimum de temps. Et quand cela ne leur convient plus, ils partent. En Superliga, c’est différent, mais l’objectif, fondamentalement, reste le même: gagner de plus en plus d’argent. Je ne suis pas mécontent que ce projet ne se termine pas. Même s’il va falloir rester vigilant, car rien ne dit qu’il ne reviendra pas à la table. Ce système de ligue fermée, où le résultat n’a pas d’importance, où l’esprit du sport est secondaire, ne m’attire pas.

Interview d’Alexis Billebault